FORMES (MÉTHODE DE LA CRITIQUE DES)

FORMES (MÉTHODE DE LA CRITIQUE DES)
FORMES (MÉTHODE DE LA CRITIQUE DES)

FORMES MÉTHODE DE LA CRITIQUE DES

Dans les années 1920 s’est développée, en Allemagne, une méthode d’approche des Évangiles synoptiques, la Formgeschichtliche Methode . Elle n’était pas totalement neuve: elle avait été inaugurée, au début du XXe siècle, à propos de la Genèse et des Psaumes, par le grand exégète de l’Ancien Testament, Hermann Gunkel. Elle doit son nom à l’un de ses deux grands manifestes, Die Formgeschichte des Evangeliums de Martin Dibelius (Tübingen, 1919), le second, non moins connu, étant Die Geschichte der synoptischen Tradition de R. Bultmann (Göttingen, 1921). Plus que d’une école au sens strict du terme, il s’agit d’une série d’orientations coordonnées dont il est possible de dégager les principes fondamentaux (le mot «forme» désigne l’aspect littéraire d’un élément évangélique particulier), mais aussi, et même surtout, les diverses transformations subies par les matériaux que l’on s’est transmis dans l’Église primitive entre la mort de Jésus et la composition du premier Évangile écrit: dans ce sens, le terme est plutôt synonyme de «formation».

Selon la critique des formes, les Évangiles synoptiques ne sont pas l’œuvre originale d’écrivains de métier, mais — sauf peut-être pour les récits de la Passion, plus cohérents et homogènes — la compilation de petites unités d’abord éparses et autonomes: ils appartiennent à la «littérature populaire» et ne relèvent pas de l’art littéraire. En outre, ce ne sont pas des biographies, pas plus de Jésus, dont la «vie» fait l’objet d’une reconstruction artificielle criante, que de tel ou tel autre personnage. Ces textes ne sont pas des documents historiques, ils témoignent seulement de la foi de l’Église primitive. Les petites unités qui composent les Évangiles sont les produits des communautés chrétiennes de la première génération, largement nourries par le «mythe du Christ» créé par saint Paul. Par le truchement de la prédication, de l’apologétique et des pratiques cultuelles (le baptême, l’eucharistie, etc.), l’expérience théologale engendra des récits populaires qui élaboraient les paroles ou les actes, réels ou surtout supposés, de Jésus. Pour la plupart d’entre elles, ces unités correspondaient à des manières stéréotypées («formes») d’enseigner («apophtegmes») ou de conter («récits de miracles») qui jouissaient d’une grande faveur dans le monde hellénistique de l’époque. Ainsi apparut la nécessité de classer les péricopes en des genres déterminés. Mais, plus que la classification des matériaux, c’était la recherche de l’origine et du développement des différents types d’unités que l’on prenait en considération. Il convenait de replacer ces dernières dans le milieu de vie (Sitz im Leben ) qui les avait fait et vu naître. Ici se sont manifestées deux orientations de la méthode: l’une, a priori et déductive, davantage suivie par Dibelius, étudie l’organisation de la communauté pour en déduire les «formes» qu’ont dû revêtir les différents éléments; l’autre, a posteriori, suivie par Bultmann, est inductive: on part des formes littéraires pour découvrir quelle place elles peuvent avoir occupée dans la vie des communautés primitives.

Cette méthode de la critique des formes suppose un système philosophique directement influencé par Hegel et tendant à substituer une Idée impersonnelle, immanente à l’humanité et trouvant son auto-expression dans le développement humain et dans une situation collective, à l’affirmation traditionnelle d’un Dieu transcendant et personnel.

Or, dans le sillage même des travaux de la critique des formes, une réaction s’est manifestée, dont les produits ont facilité l’accueil de ce champ méthodique nouveau, jusque dans l’exégèse catholique. À partir des acquisitions de leurs maîtres concernant la préhistoire des Évangiles et la naissance des unités isolées au sein des premières communautés chrétiennes, les élèves imitateurs de Bultmann ont préconisé d’abord une recherche en amont, cherchant à établir le lien historique avec le Jésus de l’histoire, puis une recherche en aval, considérant chaque Évangile comme l’œuvre originale, littéraire et théologique, d’un vrai «rédacteur», l’évangéliste. Le travail de critique littéraire s’élargissait donc à une tâche à la fois historique (le trajet conduisant du Christ de la foi au Jésus de l’histoire), littéraire et théologique (la synthèse linguistique et doctrinale de tel évangéliste). Cette postérité de la critique des formes a pris le nom de Redaktionsgeschichtliche Methode .

Il est frappant de constater la concordance chronologique entre la critique germanique des formes et, autour des mêmes années 1920, dans un contexte socio-politique tout différent, le fameux mouvement dit des formalistes russes. On peut aussi noter la simultanéité entre la Redaktionsgeschichte , qui manifestait à sa façon le retour à l’histoire après une rupture méthodique provisoire, et la phase actuelle, poststructurale, de l’analyse littéraire, qui, par le biais de la linguistique de l’énonciation, pose à la racine la vraie question des rapports entre le langage et l’histoire. Mais, par-delà ces correspondances de date et le jeu latent des surdéterminations inévitables, le clivage, idéologique et culturel, demeure net entre ces deux types historiquement parallèles de recherche littéraire.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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